lundi 11 mars 2013

La situation espagnole (2/2) : un aperçu financier

Avertissement : Il s'agit d'une analyse très personnelle, faite intégralement d'approximations ... le but est d'avoir un diagnostic cohérent à la grosse louche*, pour analyser derrière ...

L'explosion de la bulle immobilière espagnole, version financière

Source : Gauche, Natixis Flash Eco. Il s'agit des prêts aux promoteurs immobiliers, pas aux ménages !  
Droite : http://etudes-economiques.credit-agricole.com/medias/EF13_12_BK_AT_Espagne_T2_20130219.pdf 

1. Etat des lieux : la situation de 2008 

J'ai récupéré qqlq chiffres, sourcés dans la mesure du possible, pour 2008 :

- Dette immobilière ménages + entreprises : 200 % du PIB soit environ 2000 Mds €
   dont dette des entreprises de l'immobilier (promoteurs, etc.) : 45% du PIB, soit environ 500 Mds € 
- Dette publique : environ 30% du PIB, soit 300 Mds €. 
- Dette nette extérieure de l'Espagne : environ 80% du PIB 
PIB Espagne : environ 1000 Mds€ (donc 1% PIB = 10 Mds€ pour simplifier).

La bulle immobilière espagnole s'est traduite par un gonflement colossal de la dette des "ménages +  entreprises" (à 200 % du PIB). La progression des prêts aux promoteurs est juste ahurissante : la dette culmine à plus 450 Mds €, soit 45% du PIB.
Côté positif, l'Espagne rentre dans la crise avec une dette publique très faible.

Nb : Dans ce genre de graph de dette totale, il ne faut mieux pas inclure la dette des banques, car elles ont en général prêté les fonds (on compterait deux fois la dette). 

2. L'évolution 2008-2012

Par rapport au précédent article sur le PIB espagnol, on peut voir que l'ajustement ne s'est absolument pas fait au même rythme :
- Bond très rapide de la dette publique, qui monte à 65% du PIB fin 2011 (fin du graph), puis 83% du PIB fin 2012 et devrait tendre vers 100% du PIB vers fin 2014.
- Baisse très lente de la dette des ménages, qui reste proche de 120% du PIB. Sur la fin de la bulle, les prêts immobiliers ont été accordés sur 30 ans donc la baisse va être très lente. Il n'y a pas non plus énormément de défauts (de l'ordre de 3%), car les règlements sont très stricts (pas d'effacement de dette, faillite personnelle très complexe)
- Baisse très lente de la dette des entreprises, notamment du BTP. Vu le niveau de créances douteuses (> 20%), on peut supposer que la baisse correspond en bonne partie aux défauts. 
 Au total, la dette totale de l'économie espagnole a grimpé, de 240% à 270% du PIB. On voit qu'on est encore très loin d'un désendettement. 


Remarques méthodologiques :
- Le PIB a baissé sur la période (-7%) ce qui n'avantage pas les ratios ... mais le PIB de 2008 ayant été artificiellement haut (grâce au BTP),  les ratios d'aujourd'hui sont probablement plus pertinents ...
- Dans la mesure où l'Etat espagnol a sauvé plusieurs banques, il est indirectement propriétaire d'une partie des dettes des entreprises (de l'ordre de 10% du PIB).   

3. Quelles pertes bancaires ? (nb : approximation d'approximations)

Quelles seront les pertes financières totales liées à la bulle immobilière ?
Sur la dette des promoteurs immobiliers, les pertes devraient être massives. Si on retient un ratio de 50%, les pertes devraient être comprises entre 200 et 250 Mds €, ce qui a été plus ou moins pris en compte dans le plan d'aide européen. Elles sont absorbées comme suit :
- environ 100 Mds absorbables pour les banques
(40 Mds pour les provisions contracycliques** + 60 Mds pour les fonds propres des banques)
- 100 à 150 Md pour les plans d'aide publiques
(50 mds FROB espagnol - fonds de recapitalisation + 40 Mds SAREB - fonds de défaisance + 50 Mds européens des fonds de secours FESF/MES, via le FROB ... les modalités ne sont pas précisément arrêtées).  

Par contre, les défauts des ménages sont pour l'instant relativement faibles (environ 3% aux dernières nouvelles). Si on retient une hypothèse de chute des prix des logements de 50% par rapport au pic (-30 à -35% actuellement, selon les sources), les pertes sont plus difficile à estimer, car elles dépendent de la situation des emprunteurs (prix d'achat, apport personnel initial, part remboursée ...). Néanmoins, il faut garder en tête que les prêts au plus haut de la bulle (2006-2008) représentent probablement une grosse partie du stock (prix plus hauts et apports plus faibles).  
La fourchette de pertes devrait être comprise entre 10% et 25%. En appliquant ce ratio au total "ménages + entreprises hors immobilier" (120% pib + 40% pib), on arrive à des pertes comprises entre 15% et 40% du PIB. Ces pertes potentielles ne sont pour l'instant que peu provisionnées par les banques.
 

4. Conclusion  


Le stock total de dette de l'économie espagnole s'élève à environ 250% du PIB, et n'a pas commencé à être réduit. 
Les pertes potentielles sur le secteur des promoteurs immobiliers ont été en bonne partie prises en compte, celles des particuliers (logement) et des autres entreprises beaucoup moins.
On a surtout assisté à un glissement progressif de la dette privée vers la dette publique, qui devrait continuer avec les prêts aux ménages. La dette publique devrait donc monter à moyen terme à une fourchette 115%-140% du PIB, soit un niveau proche de la situation italienne. 
Au global, l'Espagne n'est pas complètement insolvable. Mais la dette est énorme et dominera les prochaines années. 

La vraie question politico-économique est de savoir qui va payer la note : ce sera la sujet du prochain post.
J'essaierai  notamment de comparer les cas "dévaluation classique" et "correction dans la zone euro".
 


 

* Taille de la louche : 100 Mds €, soit 10% du PIB.
**que la banque d'Espagne avait imposé avant crise car la bulle avait été détectée. L'idée était bonne, mais c'était un peu sous-dimensionné  ...